Projet de loi de finance 2018 et logement social - Cas concret de transformation et de révision stratégique
Le gouvernement français vient de publier le projet de loi de finance pour 2018. Sans actions spécifiques, ce projet de loi est porteur d’impacts significatifs sur les comptes des organismes de logements sociaux (réduction de 40 à 50% de l’autofinancement net au niveau macro-économique).
Cet été nous évoquions un risque, similaire dans sa magnitude, consécutif à une hausse de 1% du taux du livret A, ainsi que les sources de financements alternatifs ou les structurations pouvant compenser une baisse des fonds publics.
Il semble désormais que dans un premier temps la réduction de 50% de la CAF nette devrait provenir de la LF 2018 et non d’une hausse de 1% du taux du livret A, inéluctable dans un environnement de taux post Quantitative Easing (QE).
Il nous semble donc important dans cet article de contextualiser les annonces faites par le gouvernement, d’éviter tout alarmisme, de valider ou non les présupposés du législateur, de lui proposer des pistes non envisagées. Enfin nous présentons quelques exemples de stratégies qui pourraient être déployées par les organismes de logements sociaux pour compenser le manque à gagner. Certaines stratégies seraient à porter par leurs fédérations.
Le contenu de la LF 2018
La LF 2018 dresse le constat d’une dépense publique pour le logement (pas uniquement social) de 40 milliards, dont l’efficacité selon la Cour des Comptes n’est pas au rendez-vous.
Par ailleurs le présupposé à cette réforme est l’existence chez les organismes de logements sociaux d’une trésorerie trop abondante et inutilisée, et d’un EBE et d’une CAF nette élevés. Enfin, les gains sur la charge de la dette liée à la baisse historique des taux ont généré un bas de laine non utilisé.
En conséquence, aujourd’hui l’article 52 de la LF 2018 porte plusieurs mesures :
- Un maintien du taux du livret A à son niveau pendant 2 ans ;
- Une application de surloyers possible dès le dépassement du plafond de ressources et non plus lorsque les revenus dépassent de 20% le plafond ;
- Une réduction des APL de 50 € pour une personne isolée, 69 € pour un couple avec une personne à charge et une majoration de 10 € par personne supplémentaire. L’obligation sera faite aux organismes de logement social de répercuter cette baisse d’APL avec un supplément de 2 à 10% pour générer un gain de pouvoir d’achat pour le locataire ;
- Une hausse des cotisations CGLLS de 2,5% à 3,5%.
Seuls les deux premiers points pourront avoir un impact positif sur la CAF des organismes de logements sociaux.
Le troisième point devrait amputer de 50% la CAF nette, et le quatrième point pourrait bien être une nécessité pour aider les organismes qui seront mis en difficultés.
Avant d’évaluer l’impact sur les organismes de logements sociaux, et de commenter les arguments du législateur un bref panorama s’impose.
Panorama des organismes de logement sociaux
Le logement social c’est aujourd’hui 735 organismes qui gèrent un parc de 4,8 millions de logements.
Deux principales typologies d’acteurs agissent sur ce créneau : Les OPH qui gèrent 2,3 millions de logements et les ESH qui en gèrent 2,1 millions (hors foyers).
Si les premiers sont des organismes publiques, les seconds disposent d’actionnaires privés et/ou publiques, voire une combinaison des deux.
Il n’existe toutefois que peu de différences entre ces deux principaux acteurs au niveau national sur la plupart des plans, comme présenté dans les tableaux 1 à 3 ci-après.
Cependant si au niveau macro-économique il n’existe pas de différences sensibles, il en est tout autrement au niveau micro-économique, c’est-à-dire au niveau de chaque organisme.
Cette différence entre organismes s’explique essentiellement par quatre facteurs :
- Une population aux ressources différentes en raison de la zone géographique ou de l’orientation stratégique prise ;
- Une zone d’activité différente, impliquant une forte variation du taux de vacance ainsi que du taux de mobilité ;
- Un âge moyen du parc locatif qui peut varier. Ceux notamment qui ont fait un effort de rotation de leur parc vers une plus grande modernité seront plus pénalisés (les appartements anciens génèrent du cash flow tandis que les nouveaux en consomment) ;
- Des tailles d’organismes différentes, avec des activités plus ou moins variées génératrices de ressources complémentaires.
Notre opinion sur les arguments du législateur
Argument 1 : Une trésorerie importante non utilisée
NOTRE AVIS : Vrai mais raisonnement erroné
Le chiffre de 11 milliards est avancé, soit 7 mois de loyers et charges. Si l’on peut se poser la question du non usage de la trésorerie, il faut néanmoins considérer que :
- elle est le résultat de l’accumulation sur plusieurs années ;
- en cas de dilapidation par moindre subventions publique cette trésorerie ne représente au fonds que 4 mois d’investissement dans le logement social. C’est donc marginal et « un fusil à un coup » seulement.
La réduction des ressources versées aux bailleurs sociaux est structurante (en droit français la baisse des loyers est plus facile que la hausse !) sur plusieurs années. Alternativement, à titre illustratif, le maintien du système existant avec réduction ou suppression ponctuelle des subventions d’investissements aurait atteint le même résultat sans mettre en danger les revenus, et donc l’activité future des acteurs.
Maintenant, la comparaison avec des acteurs fonciers type ICADE, certes pas sur le même fonds de métier et avec une activité de promotion immobilière plus développée, semblerait confirmer la thèse d’une trésorerie non utilisée. Pour reprendre notre exemple d’ICADE, ils disposent d’une trésorerie nette de 2 mois de CA et non de 7 mois comme indiqué pour les bailleurs sociaux. Cette différence peut s’expliquer par une rotation plus importante de l’actif immobilier, une gestion de dette plus agressive (part court terme significative à 15%, dette in fine) ou encore une distribution de dividende.
Argument 2 : EBE et CAF trop importants
NOTRE AVIS : Vrai et Faux. Raisonnement erroné
L’EBE et la CAF des bailleurs sociaux sont indiqués comme trop élevés à respectivement 50% et 10%. A nouveau à titre de comparaison face à un acteur comme ICADE, oui l’EBE est supérieur de 15%, mais la CAF nette est inférieure elle de 4 à 5%.
Ceci traduit 2 modèles économiques différents. Les bailleurs sociaux peuvent certes faire pour certains de la promotion immobilière, mais pour l’essentiel ils n’ont comme principale source de résultat que le résultat de leur activité de location (ainsi que les aides) et non les plus-values sur vente d’immeubles comme les foncières. C’est ce que traduit la CAF nette plus forte d’un acteur comme ICADE. Il suffit pour conforter cela observer qu’en 2016, ICADE qui réalisait un CA de 1,5 Miard, à investis 0,8 Miard et vendu 0,6 Miard, soit un solde net de 0,2 Miard représentant à peine 2 mois de CA. A titre de comparaison, sur une année les ESH et les OPH qui réalisent 20 Miards de CA, investissent 20 Miards et vendent 1 Miard seulement, soit un investissement net équivalent à 11 mois de CA, soit 5 fois plus.
En conséquence il n’est pas possible de dire que les bailleurs sociaux sont trop profitables compte tenu des contraintes que le législateur leur impose, et de leurs objectifs sociétaux.
Argument 3 : Maintien des taux du livret A à leur niveau pendant 2 années pour compenser la baisse des loyers
NOTRE AVIS : Faux et irréaliste
Si l’impact du projet de loi peut amputer la CAF de 50%, soit un effet équivalent à celui d’une hausse de 1% du livret A (après effet d’étalement de la hausse prévu dans les contrats), on voit bien que l’horizon de temps n’est pas le même.
Les bailleurs sociaux finançant sur 40 ou 50 ans leurs immeubles, le maintien du taux du livret A à son niveau pendant seulement 2 ans est donc bien loin du compte.
Par ailleurs, comme illustré cet été, nous pensons que cela ferait naitre un risque sur la stabilité des ressources du livret A, principale source de financement du logement social. Il est en effet certain que si les taux de marchés montent mais que le taux du livret A reste constant, une hémorragie sera à constater sur les encours du livret A, ce qui ne sera pas tenable, à tout le moins politiquement.
Gains de ressources sur les surloyers
NOTRE AVIS : Vrai
Environ 10% des locataires ont des ressources supérieures aux plafonds et devraient donc payer un surloyer. Le paiement de celui-ci est toutefois contraint par un plafonnement égal à 25% des revenus (voire 35% sous certaines conditions).
Ce taux est inférieur au taux moyen d’effort de 28% des locataires du parc privé. Par ailleurs les plafonds tels que définis couvrent en réalité une grande partie de la population active comme le montre le tableau 4 ci-après. Ainsi à l’exception des bénéficiaires de logements financés via PLAI, les personnes excédent le plafond sont donc en général capable de se loger ou d’acheter un bien dans le privé. A ce titre ils ont la capacité financière de payer un surloyer.
Selon l’INSEE, le plafond de 90 K€ par exemple couvre 95% des ménages français et celui de 39 K€ en couvre 50%.
Pour étayer la capacité à payer un surloyer ou la capacité à acheter un logement, ces plafonds de revenus permettent d’emprunter des montants importants en raison de la faiblesse des taux d’intérêts actuels. Sur la base d’un emprunt de 30 ans à 2,5%, les montants pouvant être emprunts sont indiqués ci-après :
S’il existe donc bien ici une possibilité d’augmentation du CA, l’impact réel doit cependant être estimé organisme par organisme, et logement par logement, le surloyer ne devant pas mettre hors marché le loyer pratiqué par la simple application d’un coefficient de 25% ou 35% des ressources de locataire (notamment dans les zones non attractives, ou le taux de vacance est déjà élevé).
Nos recommandations auprès du législateur
Si certaines mesures vont dans le bon sens en matière d’efficacité de la dépense publique, comme la suppression du seuil de 20% au-delà duquel le surloyer commence à s’appliquer, la mesure phare de baisse des loyers plus que proportionnelle à la baisse des APL, est structurante et plus difficile à valider économiquement. En effet, outre l’impact immédiat sur la CAF nette, elle pose des risques à moyen et long terme. Le maintien du taux du livret A à son niveau pendant 2 ans, est hors de propos tant les horizons de temps entre ressources et emplois sont déconnectés.
Dans le cadre de l’objectif de maîtrise de la dépense publique et de l’affectation de moindres ressources vers une population mieux ciblée, il nous semble que les pistes suivantes n’ont pas été suffisamment explorées :
- Donner une plus grande liberté aux bailleurs sociaux dans la gestion de leur parc (nature du parc, localisation, transfert, vente…), afin de mieux coller à la réalité du terrain et afin de pouvoir dégager les ressources financières nécessaire à la stratégie de chaque établissement ;
- Lever certaines contraintes de financements afin de trouver le meilleur équilibre financier possible. Aujourd’hui nous ne voyons pas de raison de lier les avantages fiscaux accordés aux bailleurs sociaux sous réserve qu’ils prennent les financements pour plus de 50% auprès de la CDC. Ceci génère une rente de situation pour l’organisme publique et/ou oblige l’organisme à affecter les fonds sur livrets au logement social (facilement finançable par le privé) alors que d’autres causes sociales le sont moins et pourraient bénéficier de ces ressources plus efficacement (utilisation de ces ressources dans le cadre de Social Impact Bond par exemple);
- Donner la capacité puis l’obligation aux bailleurs sociaux de faire sortir les personnes dépassant les plafonds de ressources, afin de créer des places libres sans investir dans de nouveaux logements. Il s’agira pour le bailleur social de trouver un équilibre entre perte d’une ressource de surloyers et baisse des charges liées à la construction de nouveaux logements, tout en assurant « l’équité » entre ceux qui sont dans le système et ceux qui ont besoin d’y rentrer ;
- Envisager des modes d’accession à la propriété différent tels que le shared-ownership anglais, moins consommateur de fonds propres.
Quelles conséquences réelles pour les bailleurs sociaux ?
Comme indiqué ci-avant, les mesures prises pourraient d’un point de vue macro-économique amputer de 50% la CAF nette. Il convient donc de se préparer dans le cadre d’un plan stratégique à une adaptation soit des dépenses, soit des ressources, soit des deux en même temps.
- Les dépenses
Du côté des dépenses, il faut bien sûr en priorité s’attaquer à celles non refacturables aux locataires. On parle donc principalement :
- Des frais de structures ;
- Des charges d’emprunts.
Sur le premier point un diagnostic des organisations doit être réalisé, afin de rechercher des sources d’inefficacités. On peut penser à l’apport de nouvelles technologies, mais on peut aussi penser à accélérer l’échange de parcs locatifs afin d’optimiser la gestion des déplacements et des réparations (facility management). Peut-être plus lourd de conséquences, on pourra aussi se poser la question de la fusion d’entités ou à minima de la mutualisation de certaines activités de back et middle office.
Sur le deuxième point, sous réserve qu’une plus grande flexibilité quant à la capacité à vendre ou transférer son parc puisse être mise en place, on pourra envisager une gestion plus dynamique de la dette.
- Les revenus
Au global c’est probablement près de 2 milliards de revenus complémentaires qui devraient être recherchés pour rétablir la CAF nette (OPH : 1,2 million de ménages bénéficiaires des APL, et ESH 1 million. Sur la base d’une perte de revenu de 70 €/mois = 1,8 milliards.).
Plusieurs pistes peuvent être suivies :
- Analyse du portefeuille de logements en vue de cessions. Le prix moyen des appartements vendus étant d’environ 100 K€, il faudrait donc vendre 18 000 logements par an, soit 0,4% seulement du parc existant pour compenser la perte annuelle de 1,8 Milliards ;
- A l’image de ce que certains bailleurs sociaux font déjà, développer une activité périphérique de construction / vente dans le secteur libre afin de générer des profits permettant de financer l’habitat social. Cette activité de location privée et promotion peut d’ailleurs éventuellement être en synergie avec le point précédent ;
- Evaluer la pertinence et la faisabilité de la mise en place de prestations pour autrui sur vos cœurs de métiers (par exemple gestion d’immeubles) ;
- Evaluer le potentiel de sous exploitation des actifs (phénomène des « dents creuses » en agglomération, terrain non utilisés, toits non utilisés, etc…) ;
- Evaluer le potentiel de revenu complémentaire qui peut être tiré du développement des énergies renouvelables ;
- Analyse et révision des surloyers compte tenu des nouvelles règles ;
- Assurer une occupation optimale des logements dans le cadre de l’évolution de la taille des foyers (personnes seules vivant dans des appartements familiaux), et ce avant l’âge bloquant de 65 ans.
Nos recommandations auprès des organismes de bailleurs sociaux et de leurs fédérations
Ces listes d’économies et de revenus complémentaires ne sont évidemment pas exhaustives. Il conviendrait dans le cadre de plans stratégiques pluriannuels d’évaluer les critères principaux à mettre en place, et permettant de retrouver une CAF nette équivalente à celle d’aujourd’hui.
Indépendamment de l’issue des discussions sur cette LF 2018, il convient certainement de prendre conscience du tournant « idéologique » en matière de logement social, et de considérer le besoin d’efficacité de la dépense publique. A cette fin il est préférable d’être agile pour anticiper les changements inéluctables sur les structures de logements sociaux.
La conduite de plans stratégiques doit se faire bien sûr au niveau de chaque organisme (ou groupe), mais aussi au niveau des fédérations, celles-ci ayant selon nous et une vraie opportunité de pouvoir apporter de la valeur à leur adhérents sur ce sujet, ainsi que de jouer un rôle moteur, notamment dans les aspects de benchmarking, de mise en commun de bonnes pratiques voire de mutualisations de certains coûts.
L’approche du plan stratégique doit comme pour toute entreprise être intégrée dans le contexte à venir, inclure une analyse SWOT de l’établissement et trouver une traduction en plan d’actions. C’est certes un travail important à étaler sur plusieurs mois, mais qui n’est pas à réaliser tous les ans (plutôt tous les 3 ou 5 ans) , et qui permet d’intégrer et de simplifier les plans budgétaires annuels à venir.
Il est enfin important dans cette projection stratégique d’intégrer les éléments d’évolutions technologiques et sociétaux qui sont périphériques à votre activité, mais qui permettent une approche « thinking out of the box ». Des techniques d’animations particulières permettent un réel effet multiplicateur en matière de brain storming et ont prouvées leur efficacité pour les entreprises faisant face à des changements structurels de leur environnement.
Auteurs : François Pineau et Vincent Falgeras, Alumnis Exeis Conseil