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Le secteur aéronautique commercial : Les perspectives et les clés d’un marché de plus en plus concurrencé

novembre 2014 | Temps de lecture : 5 min

L’aéronautique est une industrie de pointe aux savoir-faire très élaborés et aux cycles de production longs et complexes. De ce fait, peu d’acteurs sont aujourd’hui en mesure de se positionner sur ce marché et le duopole Airbus / Boeing réalise en large majorité le chiffre d’affaires du secteur.

Le secteur aéronautique commercial : perspectives du marché

Néanmoins la demande n’a jamais été aussi forte ni le marché aussi porteur. Avec près de 300 milliards de dollars en 2013, le chiffre d’affaires de l’aéronautique commerciale a augmenté de plus de 10% par rapport à 2012. Et d’ici 2032, la flotte mondiale doublera, passant d’environ 17 800 appareils aujourd’hui à près de 36 600.

 

Cette croissance rapide s’explique par l’émergence de nouveaux marchés principalement en Asie, au Moyen-Orient et en Amérique du Sud. A cela vient s’ajouter le succès des compagnies low-cost. Ainsi, les divisions commerciales d’Airbus et Boeing réalisent leurs plus fortes augmentations de chiffre d’affaires avec ces nouveaux clients. Ce succès ne laisse pas insensibles les acteurs de plus petites tailles qui affichent désormais de fortes ambitions.

 

Nous ferons dans cet article tout d’abord un état des lieux du marché aéronautique commercial actuel. Puis nous déterminerons dans quelle mesure la concurrence naissante peut entraîner une redistribution des cartes et la création d’un marché mondial multipartite. Enfin, nous verrons ensemble quels leviers l’avionneur français Airbus possède sur le long terme pour maintenir sa position de leader.

 

Photographie du marché : un secteur divisé en plusieurs segments

 

Le marché aéronautique des avions commerciaux est divisé en 3 segments au sein desquels les différents acteurs évoluent.

Les court-courriers : Avions de 20 à 110 places effectuant les vols domestiques.

Les court-courriers : Avions de 20 à 110 places effectuant les vols domestiques.

 

Deux constructeurs dominent ce segment : Bombardier (Canada) et Embraer (Brésil). Ce dernier devance maintenant son concurrent direct canadien. ATR (France et Italie), quant à lui, monte en puissance et devrait gagner des parts de marché dans les années à venir notamment grâce à la mise sur le marché de l’avion régional qui consomme le moins de carburant et émet donc le moins de CO2 au monde.

 

Côté russe, la production (avec Sukhoi) n’est pas encore compétitive même si de nouveaux produits tels que le SuperJet sont développés. Comac, constructeur public chinois créé en 2008 a également lancé la production de l’ARJ-21 et a pour ambition d'affronter la concurrence existante.

 

A noter que ni Airbus et ni Boeing ne se sont positionnés sur ce marché.

Les moyen-courriers : Avions de 110 à 220 passagers destinés aux vols régionaux.

Les moyen-courriers : Avions de 110 à 220 passagers destinés aux vols régionaux.

 

Ce segment est ultra dominé par le duopole Airbus / Boeing qui fabriquent respectivement les gammes A320 et B737. Depuis 2011, avec un carnet de commandes en volume plus élevé, Airbus devance Boeing sur les moyen-courriers, même si pour le moment la flotte en activité indique l’inverse.

 

Par ailleurs, de la même manière que sur le segment des court-courriers, les avionneurs russes développent l’Irkout MS-21 et les chinois, le C919. Bombardier avec le CSeries C300 compte également concurrencer les plus petits modèles des deux géants.

Les long-courriers : Avions gros porteurs de 200 à 350 passagers et les très gros porteurs de 525 à 800 passagers, développés pour les vols internationaux.

Les long-courriers : Avions gros porteurs de 200 à 350 passagers et les très gros porteurs de 525 à 800 passagers, développés pour les vols internationaux.

 

Les deux géants de l’aéronautique se partagent ce segment et pour l'heure, Boeing mène le jeu en détenant 60% des parts de marché contre 40% pour Airbus. Dans les 20 prochaines années, une forte croissance est à prévoir sur ce segment qui représente aujourd’hui 40% du marché de l’aviation civile (en chiffre d’affaires). En effet, les compagnies aériennes commanderont près de 7 000 long-courriers pour notamment remplacer les Boeing 777 et A340 trop (coûteux en kérosène) par des 787, A350 ou A380.

Le duopole Airbus / Boeing domine les débats

 

Le duopole se partage en 2013 le leadership avec un chiffre d’affaires record pour la branche commerciale de 53 milliards de dollars. Cependant Airbus a dans cette même année devancé son concurrent sur tous les segments du marché en raflant 53 % des commandes annuelles nettes (1 503 avions commandés contre 1 355).

 

Le segment des moyens et longs courriers étant le plus prolifique monétairement parlant, il est logique de retrouver les deux géants largement devant les autres principaux avionneurs :

 

 

Chiffre d'affaires des différents avionneurs en 2013

 

 

L’ultra domination du duopole Boeing / Airbus est une réalité qui ne doit pas masquer l’activité et les ambitions grandissantes de nouveaux acteurs. La croissance et les perspectives du marché à long terme représentent une opportunité d’enrichissement formidable une fois les barrières à l’entrée du marché franchies.

 

 

L’industrie aéronautique : un marché mondial multipartite ?

 

Les constructeurs venus du Canada (Bombardier), du Brésil (Embraer) mais aussi de Russie (Sukhoi) et surtout de Chine (Comac) nourrissent de grandes ambitions sur les segments du court et moyen-courriers (150 – 250 places). Bien que suivant des schémas directeurs structurés et ambitieux et disposant d’une ingénierie et de technologies de pointe, ces avionneurs devront relever plusieurs défis pour devenir compétitifs.

 

 

Des barrières à l’entrée pour intégrer le marché

 

Ils devront tout d’abord relever le défi de la certification. Afin de pouvoir faire voler leurs avions, ceux-ci devront être certifiés par la FAA (Etats-Unis) ou l'EASA (Europe) ayant un niveau d’exigence élevé. Pour y répondre, les nouveaux entrants font aujourd’hui appel aux mêmes fournisseurs qu’Airbus et Boeing mais cela ne suffit pas : le Comac C919 notamment n’est pas pour le moment « apte au service », le vol d’inauguration venant d’être repoussé d’un an. Le challenger chinois semble se heurter au processus de certification certainement par manque d’expérience.

 

Autre défi, les nouveaux entrants devront être plus que jamais en mesure de proposer une fiabilité et une sécurité de haut niveau. Ils devront aussi justifier de coûts d’exploitation attrayants, et cela avec un retour d’expérience quasi inexistant.

 

Enfin, comme l’ont fait admirablement Airbus et Boeing durant ces 40 dernières années, les challengers devront être en mesure de proposer un service de maintenance de leur flotte, aussi bien de réparation technique que de pièces de rechange, à travers le monde entier.

 

La route semble donc encore longue avant que les compagnies aériennes n'accordent leur confiance aux nouveaux entrants.

 

Un niveau de concurrence à court et moyen terme relativement stable malgré de nouveaux acteurs ambitieux…

 

Emblématiques, l’Airbus A320 et le Boeing 737 sont dans la ligne de mire de ces nouveaux challengers. Mais Airbus et Boeing ont donné un nouvel élan avec les versions A320 neo et 737 Max, moins gourmands en énergie, et bénéficiant d’une excellente image.

 

Depuis 10 ans déjà, Bombardier, spécialisé dans les avions d’affaires, a lancé le CSeries qui comptabilise aujourd’hui 180 commandes et devrait en compter 120 de plus sur l’année à venir malgré une mise en service qui compte un an de retard.

 

Du côté du Comac C919 chinois et du MS-21 d'Irkut russe, l’ambition se porte sur des coûts de production et donc un prix final plus faible. Ils ont aussi énormément investi sur leurs programmes en faisant appel aux technologies et savoir-faire occidentaux, utilisant notamment le même moteur que l’A320neo.

 

Malgré ces efforts, les commandes de l’avionneur chinois stagnent aujourd’hui à 400 exemplaires (pour comparaison, Airbus en est aujourd’hui à 2 700 commandes fermes juste pour l’A320neo) et la date de mise en service est aujourd’hui repoussée à 2017-2018. Le MS-21 d'Irkut ne fait lui guère mieux puisqu’il a décroché, à ce jour, 253 contrats et tente d'être prêt à entrer en service en 2017 soit... seize ans après le lancement du programme.

 

…qui s’arment pour redistribuer les cartes sur le long terme

 

Le « savoir-faire » et l’avance technologique d’Airbus et Boeing sont des atouts majeurs. La maitrise de technologies de pointe, des étapes de planification, de fabrication mais aussi la mise en place d’un réseau de sous-traitance expérimenté prend du temps. Cela explique les retards accumulés du Comac C919 et du CSeries.

 

Néanmoins, la concurrence est aujourd’hui bien présente comme l’affirme le président exécutif d'Airbus Group, Tom Enders (élu stratège de l’année 2013 par Les Echos) : « l’arrivée de la Chine dans l'aviation commerciale n'est qu'une question de temps ». Même si les défis sont nombreux à relever, les Russes et les Chinois semblent avoir aujourd’hui toutes les cartes en main pour faire de l’ombre, à terme, au duopole Airbus-Boeing.

 

 

Les long-courriers hors de portée

 

Le segment des long-courriers n’est toujours pas une cible pour les nouveaux acteurs. Concentré de technologies, demandant des périodes de développement produits plus longues et des investissements plus lourds, ce segment est aujourd’hui « préservé » de la concurrence. « Airbus et Boeing devraient rester les deux principaux acteurs de la construction d’avions commerciaux », selon le dernier rapport du cabinet de conseil Ascend, « ils représenteront 87% de la valeur du marché d’ici 2032 ».

 

Malgré toute cette avance le duopole ne sera pas éternel. Airbus en est conscient et prépare dès aujourd’hui son avenir pour maintenir son niveau de compétitivité.

 

 

Quels leviers Airbus possède-t-il pour maintenir son leadership et sortir son épingle du jeu sur le long terme ?

Airbus : les leviers pour maintenir son leadership

Pour rester attractif et conserver durablement son avance, Airbus (et ses partenaires) peut s’appuyer sur des atouts majeurs :

 

  • Une capacité de synthèse entre les meilleures technologies du monde
  • Un service après-vente proche de la perfection au travers d’un réseau mondial

 

Cela ne doit pas empêcher l’industrie aéronautique européenne et son champion Airbus de préparer l’avenir en travaillant sur les leviers de la compétitivité du groupe.

Jouer sur les variables économiques, sociales, fiscales et monétaires

 

Aujourd’hui, l’industrie aéronautique européenne est fortement pénalisée avec une production majoritairement réalisée en Europe alors que les ventes sont négociées en dollars. Assurer une parité euro/dollar avantageuse sera donc sûrement un premier levier, tel est le rôle de la Banque Centrale Européenne (BCE).

 

En parallèle, l’obtention des subventions et des aides des Etats sera un atout majeur :

 

  • Investissements civil et militaire
  • Renforcement des acteurs locaux
  • Amélioration de la fiscalité pour jouer sur le coût du travail
Choisir une stratégie commerciale

Choisir une stratégie commerciale

 

Si les initiatives internes et le support des instances politiques ne sont pas suffisantes ou ne sont pas payantes alors Airbus continuera à s’éloigner de ses bases d’origine. Il n’empêche que, pour des raisons politiques, notamment s’agissant de la maîtrise des technologies clefs et du maintien des compétences, les délocalisations ne peuvent concerner que la production de pièces simples – du moins pour l’instant.

 

Dans tous les cas, le choix de se rapprocher des acheteurs potentiels est déjà engagé (pour réaliser des économies d’échelles et accéder à une main d’œuvre moins couteuse). L’implantation du site d’Assemblage A320 à Tianjin en Chine en est un parfait exemple.

Renforcer les piliers de l’innovation

 

Au-delà de contrer les nouveaux concurrents, la stratégie d’innovation est indispensable pour répondre aux exigences imposées tant par les compagnies aériennes de fret et de passagers que par de nouvelles législations. Pour cela des initiatives sont à pérenniser sur la durée :

 

  • Créer un écosystème propice à l’innovation et développer une culture favorisant l’innovation
     
  • Attirer et fidéliser les talents en mettant en place une politique RH novatrice
     
  • Maintenir les efforts d’investissement en R&D, condition indispensable pour garder son avance technologique (l’exemple des prix des énergies compensées par la mise à disposition d’appareils moins gourmands en consommables). A noter que le secteur aéronautique consacre 17% de son chiffre d’affaires aux activités de recherche et de développement.

 

 

Améliorer la productivité du groupe et de ses partenaires

 

  • Mener et continuer une politique de rationalisation des coûts (Power 8) et de chasse au gaspillage
     
  • Créer des synergies avec ses partenaires de rang 1 afin d’augmenter les capacités de production 
     
  • Soutenir le regroupement des PME au sein de réseaux ou clusters leur permettant de développer des synergies et de bénéficier d’économies d’échelle et d’envergure 

 

 

Conclusion

 

Aujourd’hui comme demain, la demande en avions est et sera, soutenue et grandissante (grâce notamment au succès des compagnies low cost et au développement des pays émergents) - de quoi assurer un horizon dégagé pour les avionneurs en place. Cependant, le gâteau est trop beau et trop gros pour ne pas voir d’autres acteurs arriver et prendre leur part. Ces nouveaux acteurs ont de sérieux arguments à long terme pour rivaliser sur le segment aéronautique le plus prolifique, à savoir celui des avions moyen-courrier.

 

Conscient de ces enjeux et menaces, Airbus fait évoluer son groupe et sa stratégie afin de garder durablement son leadership. Pour cela, l'avionneur renforce désormais sa politique industrielle et investit davantage encore autour de l’innovation. Cette recherche de compétitivité sur le long terme donne lieu à des programmes de transformation et d’optimisation pour lesquels Airbus s’entoure de partenaires qui sauront l'aider à concrétiser ces nouveaux succès.

À propos des auteurs
Benoit BARTHET - Directeur chez EXEIS Conseil
Benoît BARTHET Directeur
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Après 15 ans d’expérience dans le conseil, Benoît met au service du cabinet et de ses clients ses expériences variées acquises sur différents secteurs d'activité (Industrie, Aéronautique, Service, Banque, Assurance, Agroalimentaire, ...) Responsable du bureau de Toulouse, il intervient au quotidien avec ses équipes sur des missions de pilotage projet, direction de programme, performance opérationnelle et conduite du changement au travers de projets de transformation d’envergure dans des environnements complexes.