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Drives piétons : tendance Covid ou modèle durable ?

juin 2021 | Temps de lecture : 5 min

Depuis une quinzaine d’année, les hypermarchés ont pénétré les centres-villes et concurrencent les commerces de proximité grâce à leurs enseignes de proximité (Carrefour City, U Express, …) et au système de drive. En 2014, le groupe Auchan est allé encore plus loin en proposant un nouveau modèle : le drive piéton. Ce concept est en développement depuis mais c’est la crise sanitaire actuelle qui l’a révélé au grand jour. 

Drive piéton - Distribution EXEIS Conseil

 

Le « Drive » : définition

Le drive représente un point de retrait de marchandises où le client vient récupérer ses articles commandés au préalable, au sein ou à proximité de son véhicule. Initialement créé par les enseignes de Fast Food, ce modèle a rapidement séduit la grande distribution. En captant des clients qui fuyaient les rayons, en élargissant son offre de service et en s’appuyant sur les mécanismes du e-commerce pour travailler le panier moyen, le drive a des atouts pour séduire.

 

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Depuis 15 ans, de plus en plus d’enseignes proposent leur propre service, chacun avec sa spécificité. On distingue tout de même 3 types de drives bien distincts : 

 

Typologies de drives - Distribution



Au-delà du coût, s’orienter vers l’un ou l’autre des modèles implique des considérations différentes :

  • Sur la gestion du stock : prélever les produits directement en rayon (le préparateur fait les courses à la place du client) impliquera nécessairement plus de risques de rupture qu’une préparation en entrepôt, et donc le recours aux produits de substitution qui peut avoir un effet déceptif auprès du client livré, comme auprès du client magasin dont les rayons s’appauvrissent
  • Sur le délai de préparation : plus le point de retrait est proche du point de préparation, plus la commande pourra être préparée rapidement ; les services de retrait sous 30 min apportent aujourd’hui un service très satisfaisant pour le client (pas de créneau de retrait à réserver, peu d’anticipation nécessaire)
  • Sur la rentabilité : certains modèles séduisent par leur faible coût d’investissement, en revanche la rentabilité globale doit être considérée, notamment lorsque le service Drive mobilise des ressources du magasin : personnel pour la préparation, personnel pour la gestion du retrait, surface dédiée à l’espace de retrait, … une mobilisation qui ne permet pas toujours de recruter de nouveaux clients, mais plutôt de fidéliser les clients existants qui y voient un service complémentaire.

 

 

Apparition d’un nouveau modèle : le Drive piéton 

 

En 2014, Auchan a créé son premier Drive Piéton à Paris. Le principe : pas de parking pour venir récupérer sa commande en voiture, les clients viennent à pied.
Ce modèle a donc pour objectif de s’implanter en plein centre des agglomérations afin de pouvoir se placer au plus proche du lieu de vie de ses consommateurs et de leur offrir un service de proximité au prix d’un hypermarché. 
Destiné aux clients se déplaçant à pied, une contrainte apparait rapidement : le volume d’achat d’un client est limité par ce qu’il pourra porter. Ce modèle est donc plus axé vers les achats complémentaires plutôt que vers les achats de fond. Le client continue à faire ses « grosses courses » dans un hypermarché (ou en se faisant livrer à domicile) et il se tourne vers le drive piéton pour les compléments quotidiens. 
En 7 ans ce modèle s’est beaucoup développé. On retrouve aujourd’hui plus de 250 drives piétons en France. Bien que ce modèle soit en développement depuis un moment déjà (85% de croissance en 2019), la crise sanitaire a eu un effet révélateur et accélérateur pour ce nouveau modèle (179% de croissance lors du 1er confinement). 

 


Quels sont les enjeux de ce nouveau modèle ? 

 

  • Pour le consommateur 

Motifs consommateurs drive piéton

 

Contrairement à ce que mettent en avant les Grands Groupes comme Carrefour ou E. Leclerc, ce n’est pas uniquement pour des prix plus bas ou une offre plus large que les consommateurs se tournent vers ces drives piétons. C’est avant tout pour des raisons pratiques : gain de temps, flexibilité des horaires et proximité.

 

  • Pour les enseignes


Au niveau du client type, on remarque que ces drives sont plus orientés vers des jeunes, urbains et dans des foyers de taille plutôt réduite, soit la population majoritaire en centre-ville des grandes agglomérations. 

 

Clients drive piéton

 

Au niveau des enseignes, on distingue 3 enjeux principaux :


1) Le choix des implantations
 

L’argument de vente principal des drives piétons est de proposer un service de proximité en plein centre-ville, avec les mêmes prix que les hypermarchés de périphérie. Le levier principal pour pouvoir proposer des prix aussi bas est le gain en surface des installations et donc des coûts immobiliers beaucoup plus bas (la superficie moyenne des drives piétons actuels est 55m² contre 1400m² pour les supermarchés et plus de 2500m² pour les hypermarchés). 

Toutefois, un point de vigilance apparait lorsqu’une enseigne choisit d’implanter un drive piéton dans un centre-ville : risquer de concurrencer ses autres magasins. Pour certaines, le problème ne se pose pas car elles ne possèdent pas encore de magasin en centre-ville, pour d’autres par contre le problème est beaucoup plus complexe. 
Par exemple Carrefour possède près de 800 magasins Carrefour City dans les centres-villes des grandes agglomérations et la création de drives piétons, proposant des prix plus bas (17% en moyenne), vient parfois menacer ses autres magasins.
Carrefour suit actuellement 2 pistes dans le choix de ses implantations pour pallier à ce problème : 

  • Réaménager certains Carrefour City en drive piéton, là où la concurrence avec les autres commerces de proximité est la plus forte
  • Renforcer sa couverture sur le territoire en créant de nouveaux points de retraits isolés

 

2) La logistique d’approvisionnement et la préparation de commande

 

Le fait de déporter les points de retrait implique de préparer en amont les commandes dans les hypermarchés ou entrepôts dédiés puis de livrer les commandes complètes. Mais les surfaces de stockage des points de retrait sont réduites au maximum pour baisser les coûts immobiliers, cela impose donc des réapprovisionnements fréquents. L’enjeu est donc de pouvoir faire évoluer sa chaîne logistique afin de réapprovisionner plusieurs fois par jour les points de retrait (entre 4 et 7 réapprovisionnements quotidiens en moyenne) pour proposer davantage de créneaux aux clients et d’optimiser la préparation des commandes pour répondre à une demande croissante. 


3)    La gestion de l’offre

 

Un autre enjeu pour les acteurs des drives piétons est de réussir à bien segmenter le marché entre hypermarché, supermarché, drive et drive piéton, avec un mix de marges équilibré. Par exemple, Carrefour estime être allé trop loin en nombre de références proposé dans ses drives piétons (environ 15.000 références contre 10.000 en moyenne chez les concurrents). Le grand nombre de références génère des difficultés logistiques et entraîne des ruptures de stock. L’objectif est bien de venir en complément des hypermarchés et supermarchés, et non de les concurrencer, en proposant un assortiment ciblé à la population plutôt jeune et urbaine.

 

 

Ce modèle va-t-il perdurer après la crise ? 

 

Existant déjà depuis presque 8 ans, c’est la crise sanitaire qui a révélé ce mode de consommation au grand public, qui a permis de recruter des clients rapidement, et de faire changer les modes de consommation. Voyant (enfin) le bout de la crise arriver, la question se pose sur la pérennité de ce modèle : va-t-il perdurer ou les consommateurs vont-ils revenir à leurs anciennes habitudes ?

3 facteurs nous laissent penser que ce modèle va continuer à se développer : 

 

1) Des chiffres qui se maintiennent 

 

Alors que nous sortons progressivement de cette crise sanitaire, les chiffres ne reviennent pourtant pas à leur niveau initial. Nous comprenons donc que les consommateurs ont adopté ce nouveau mode de consommation et vont continuer de le pratiquer. D’ailleurs, chez Auchan et Carrefour, les progressions sont en hausse de 30%, même hors confinement.

 

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2) Des investissements importants, en cours et à venir

 

Alors que ce nouveau modèle à déjà investi la capitale et se développe dans les plus grandes agglomérations, les grands acteurs de Grande Distribution n’en ont pas encore fini et comptent multiplier drastiquement le nombre de points de retrait dans les prochaines années. 

 

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Source : Les Echos entrepreneurs - Novembre 2020


3) Des partenariats innovants

 

Bien que ce modèle soit encore en construction, certains acteurs prennent déjà un temps d’avance et envisagent dès aujourd’hui les drives piétons de demain. On retrouve par exemple le groupe Carrefour qui commence déjà à développer 2 futures alternatives : 
-    Un projet de drive piéton 100% robotisé en partenariat avec Retail Robotics
-    Un partenariat avec La Poste pour créer le « Pick-Up Drive », un point de collecte multi-services permettant de récupérer ses courses et ses colis en même temps (premier magasin test créé le 26/05/2021 à Paris).

 

 

En conclusion,

 

le modèle récent du drive piéton n’a pas encore dévoilé tout son potentiel. La crise sanitaire lui a donné un véritable coup de boost en proposant aux consommateurs une nouvelle alternative pour leurs achats. Pourtant ce modèle répond bien à un besoin structurel, indépendant de la crise, et qui semble s’inscrire durablement sur le marché.

A cette tendance s’ajoute la nécessité pour les marques d’aller au-delà du Drive pour une clientèle différente qui sera sensible à l’acheminement de sa commande jusqu’à son domicile. Des modèles comme Shopopop, modèle de livraison collaborative à Nantes, ou Picnic, spécialiste hollandais de livraison de courses à domicile et récemment implanté en France en phase de test, proposant la livraison des courses alimentaires sans surcoût grâce à des tournées par quartiers pourraient inspirer certains acteurs pour optimiser la livraison au consommateur tout en réduisant le coût du dernier kilomètre de livraison.
 

À propos des auteurs
Amélie Jean - Manager chez EXEIS Conseil
Amélie JEAN MANAGER
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Issue d’une formation au Commerce International en Ecole de Commerce, Amélie évolue depuis plus de 9 ans dans le Conseil en organisation et management. Amélie pilote des missions de transformation des organisations et de conduite du changement dans des environnements complexes, principalement dans le domaine de l’Industrie, de la Distribution et du Retail.