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L’évolution des relations entre les donneurs d’ordres et les sous-traitants dans l’Aéronautique (1ère partie)

janvier 2015 | Temps de lecture : 3 min

Avec un marché de 3 818 milliards d’euros pour les vingt prochaines années, le marché aéronautique mondial a un bel avenir devant lui ! Tout l’enjeu pour les constructeurs est de ne pas rater ce rendez-vous et d’être prêts à satisfaire la demande. Pour faire face à ce défi, c’est l’ensemble de la chaîne de conception et de production qui doit s’adapter pour mettre en place un modèle de sous-traitance efficace et efficient.

 

Aéronautique

 

Un nouveau modèle organisationnel

 

 

De plus en plus de sous-traitance et de sous-traitants. Au fil des nouveaux programmes, les constructeurs ont externalisé une part de plus en plus importante de leurs activités de conception et de fabrication. Le nombre d’acteurs impliqués dans les programmes a également augmenté. Alors qu’Airbus a sous-traité 50% de la fabrication de l’A350, le programme Dreamliner de Boeing a atteint 70% d’externalisation.

 

Le type de sous-traitance a également évolué ; là où dans les années 80 la sous-traitance permettait de pallier un manque de capacité à produire, aujourd’hui, la sous-traitance s’est spécialisée et est en mesure de concevoir et produire des sous-ensembles complexes d’avion.

 

 

L’augmentation des cadences de production

 

 

En 30 ans, l’industrie Aéronautique est passée d’une production quasi-prototypique à une production de série. Le carnet de commandes d’Airbus a ainsi atteint 6 386 appareils en 2014, contre 5 789 pour Boeing, pour une production moyenne chez les deux avionneurs de 680 appareils par an… soit 8 à 9 ans de production assurée.

 

L’augmentation du volume de commandes s’est doublée d’un raccourcissement des délais de livraison, contraignant les avionneurs à une forte montée des cadences. Si à la fin des années 80, Airbus produisait 6,5 A320 par mois, l’avionneur européen en produit 42 aujourd’hui et prévoit d’atteindre une cadence de 46 appareils A320 par mois en 2016. Airbus plancherait même sur un modèle de production lui permettant de livrer près de 55 A320 par mois.

 

 

Une organisation qui doit s’adapter

 

 

Pour mettre en œuvre leur stratégie d’externalisation et répondre à la demande, les donneurs d’ordres ont dû adapter leur organisation et se recentrer sur leurs activités stratégiques, à savoir la conception et fabrication d’éléments de l’avion à haute valeur ajoutée et l’assemblage final.

 

Evolution du modèle organisationnel entre Airbus et ses sous-traitants (source : Airbus 2012)

Cela implique la délégation de sous-ensembles complexes à des partenaires assez solides pour être en mesure de les concevoir et/ou de les fabriquer, tout en pilotant leur propre chaîne de sous-traitance. Le nombre de sous-traitants de rang 1 (Tiers-1) a donc diminué ; moins de fournisseurs en direct mais avec des périmètres plus importants.

 

Ces Tiers-1 ont également plus de responsabilités. En effet, le succès commercial d’un nouvel avion bénéficie à l’avionneur, mais également à ses fournisseurs, et cela pour plusieurs décennies. Il leur a donc été logiquement demandé de partager une partie des risques et des coûts inhérents aux programmes avions. Cette avancée a fait évoluer les relations entre les donneurs d’ordres et les sous-traitants ; collaboration, confiance, long terme, objectif commun, … sont désormais la règle, mais tout n’est pas si simple !

Des relations complexes

 

 

Au niveau Corporate

 

Cette mutation du modèle organisationnel amène les constructeurs à se préoccuper davantage de la santé financière des acteurs de leur chaîne de sous-traitance et notamment des PME. En effet, les sous-traitants doivent pouvoir financer leurs investissements, absorber les délais de paiement, voire les retards de paiement, … Ces difficultés peuvent mettre en péril l’ensemble de la chaîne et aboutir à sa rupture. Pour sécuriser ce point, les donneurs d’ordres ont mis en place des initiatives de soutien financier des PME via la création de fonds d’investissement. Ces initiatives permettent de compléter voire de remplacer l’intervention des banques. Airbus est ainsi engagé dans le fonds Aerofund III, dédié aux PME du secteur aéronautique, pour consolider les fonds propres des entreprises de la filière. Parfois, cela va même plus loin avec la prise de participation dans le capital d'entreprises en difficulté, comme ce fut le cas pour Alestis, sous-traitant espagnol fournissant des éléments de l'A350 et des portes pour l'A330, alors en procédure de redressement judiciaire.

 

 

Les donneurs d’ordres soutiennent également des opérations collectives visant à faire progresser l’ensemble de la filière. Par exemple, Airbus contribue largement aux efforts de l’association Space Aero (Supply Chain Progress towards Aerospace Community Excellence), créée en 2007 par les donneurs d’ordres de l’aéronautique européenne. Space Aero accompagne les sous-traitants de la filière dans leur stratégie d’amélioration de leurs performances industrielles. Le projet est porté au sein de plusieurs régions françaises et tend à se développer à l’échelle européenne (projets d’étude en Allemagne, en Espagne,…).

 

 

Au niveau des méthodes et outils

 

L’engagement opérationnel des donneurs d’ordres auprès de leurs sous-traitants se traduit sous plusieurs formes et tout au long du projet :

 

  • Co-développement : Les sous-traitants sont consultés par les donneurs d’ordres lors des phases amont de développement afin de concevoir des pièces qu’ils seront en mesure de fabriquer.

 

  • Massification des achats : Les donneurs d’ordres peuvent grouper les achats de leurs sous-traitants afin de leur faire bénéficier de meilleures conditions d’achat.

 

  • Optimisation de la Supply Chain : Les donneurs d’ordres détachent certains de leurs personnels auprès de leurs sous-traitants afin de les accompagner dans l’amélioration de leurs performances (OTD, stocks, approvisionnements, …). Par exemple, Airbus a envoyé ses propres équipes pour aider Spirit en difficulté pour l’A350 et Premium Aerotec pour l’A320. Par ces actions, les donneurs d’ordres démontrent une volonté d’instaurer un contrôle renforcé au sein de la Supply Chain.

 

  • Mise en place de l’Entreprise Etendue : Pour favoriser les interactions, les donneurs d’ordres ont déployé des « méthodes et outils Entreprise Etendue ». Ces méthodes et outils ont pour objectifs de développer des standards opérationnels pouvant être répliqués à tout le réseau de sous-traitance et de mettre à disposition du sous-traitant les outils des donneurs d’ordres. Les sous-traitants sont donc quasiment autonomes pour récupérer de l’information auprès du donneur d’ordres, et les donneurs d’ordres ont un moyen de contrôle sur l’activité du sous-traitant et sur l’accès à leurs données. L’avionneur Boeing dispose ainsi d’une salle de contrôle lui permettant de voir à distance ce qui se passe chez ses sous-traitants et de contrôler ainsi la fabrication des pièces.

 

 

Comme nous venons de le voir, l'évolution du modèle organisationnel de la sous-traitance dans l'aéronautique a fortement impacté les relations entre les donneurs d'ordres et les sous-traitants. L'ensemble des acteurs compose déjà avec ces nouveaux modes de collaboration ; certains sont en avance et ont déjà optimisé leur organisation, d'autres ont plus de difficultés, mettant in fine en péril l'ensemble de la chaîne ... Qu'en est-il dès lors de la pérennité de ce modèle ? Nous vous fournirons des éléments de réponse le 11 mars prochain !

 

À propos des auteurs
Nicolas BUFFARD - Manager chez EXEIS Conseil
Nicolas BUFFARD Manager
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Ingénieur généraliste des Mines de Nantes, Nicolas évolue depuis plus de 11 ans dans le Conseil en Organisation. Nicolas a principalement réalisé des missions de transformation des organisations et des SI, de pilotage de projets complexes, ou de conduite du changement. Il a réalisé l’essentiel de sa carrière dans le secteur des assurances de biens et de personnes.