Transition vers une finance durable : la data, pierre angulaire de la production des indicateurs extra-financiers
La finance durable est un terme générique qui désigne des pratiques qui prennent en compte, en plus des critères financiers, des critères « extra-financiers » dans l’analyse, la sélection et la gestion des financements et des investissements.
Le cadre réglementaire, européen et français, vise notamment la réorientation des flux financiers vers des activités plus durables et une transparence accrue des acteurs. Le système financier, banques et investisseurs, doit donc progressivement s’adapter pour y répondre.
Cette réorientation des flux financiers suppose de disposer d’indicateurs pertinents pour identifier et suivre les cibles possibles (projet, entreprise) de financement ou d’investissement. La fiabilité de ces indicateurs repose principalement sur la présence et la qualité des données nécessaires à son calcul.
Etape 1 : une volonté claire des acteurs financiers au travers de leur politique de crédit ou d’investissement
La première question que les institutions financières doivent se poser est l’intention qu’elles souhaitent donner. C’est du ressort de leur politique qui va marquer le ton et encadrer les décisions de financement et d’investissement qui en découleront. Les décideurs des comités de crédit ou d’investissement ne peuvent pas être des décideurs subjectifs, selon leur sensibilité, en ce qui concerne les orientations en matière de durabilité.
Les choix des cibles (financement et investissement), des mesures à suivre, de l’intensité à laquelle le portefeuille doit évoluer (etc…) relèvent de la stratégie de l’institution financière soutenue au plus haut niveau de l’organisation.
Pour financer ou pour investir, il y a donc besoin d’un point de départ. Ce point de départ est la mesure à un instant T de la dimension E, S ou G de l’entreprise, c’est-à-dire de l’actif financé ou de la cible d’investissement. Cette mesure renvoie vers une pluralité d’indicateurs, aux définitions plus ou moins homogènes, et au caractère obligatoire ou non de publication.
Etape 2 : une déclinaison de ces politiques en indicateurs extra-financiers explicites
La déclinaison de la politique de durabilité se traduit en indicateurs qui seront pris en compte dans les décisions de financement et d’investissement ainsi que dans le pilotage de l’institution financière. Certains indicateurs sont incontournables, par exemple lorsqu’ils sont d’ordre réglementaire, d’autres sont délibérément choisis.
Une fois déterminés, il s’agit d’interpréter ces indicateurs de manière suffisamment précise et détaillée pour qu’ils puissent être « traduits » en traitements de calcul.
Il existe plusieurs cas de figure pour l’interprétation des indicateurs. Les indicateurs peuvent être fournis par un texte (ex : SFDR), un cahier des charges (ex : pour les labels) ou établis par l’institution financière.
Indicateurs extra-financiers de type règlementaires
Dans le cas d’un indicateur « réglementaire », la définition de l’indicateur peut être précisée après la mise en vigueur des textes. Par exemple, la part d’investissement durable n’est pas clairement définie dans SFDR. Chaque institution financière est donc en train d’établir sa propre définition de la part d’investissement durable.
En parallèle, les autorités, ainsi que les associations professionnelles, voire les institutions financières entre elles, relèvent les différentes définitions retenues afin d’aboutir à un standard ou langage commun permettant une cohérence de Place.
Indicateurs extra-financiers de type label
Pour un cahier des charges d’obtention d’un label, l’institution financière pourra également être confrontée à la nécessité d’interpréter certains attendus. Toutefois, l’accompagnement et le contrôle du labellisateur garantira l’homogénéité et la qualité de l’interprétation… mais pour un label donné et son cadre de référence (ex : ISR France, LuxFlag Luxembourg, FNG-Siegel Allemagne, Autrice et Suisse).
Indicateurs extra-financiers choisis par l’acteur financier
Enfin, lorsque l’institution détermine elle-même son indicateur, elle devra être transparente sur sa définition afin que chaque partie prenante puisse comprendre cet indicateur, reconnaitre sa valeur et suivre son évolution.
Etape 3 : fiabiliser les sources d’informations nécessaires au calculs des indicateurs extra-financiers
L’obtention de ces indicateurs suppose de trouver des sources d’informations qui permettront leur calcul.
Les institutions peuvent recourir à des sources externes qui proposent déjà l’indicateur calculé (ex : répartition du chiffre d’affaires par secteur d’activité sensible, principales incidences négatives / PAI,…) ou calculer elles-mêmes les indicateurs à partir d’informations obtenues directement des contreparties ou de fournisseurs de données ou des deux.
Lorsque les informations proviennent d’un fournisseur (indicateurs ou informations extra-financières), il s’agit pour les institutions financières de comprendre, à défaut de maîtriser, comment les indicateurs ont été calculés ou les informations collectées. Il n’y pas, à ce stade, de cadre de référence. Elles sont donc incitées à identifier, comparer et choisir les différentes méthodes et sources possibles. La démarche responsable passe aussi par là.
Les sources d’informations des indicateurs extra-financiers
Il existe plusieurs choix de sources d’informations externes que l’AMF segmente comme suit :
- Diffuseur de données de marché (ex : rediffuseur de données financières comme Bloomberg, fournisseur d’indices (ex : MSCI) et bourse de valeur (ex : London Stock Exchange)) ;
- Agence de notation (ex : Moody’s, S&P et Ethifinance) ;
- Start-up technologique (ex : CSRHub, Impak, Arabesque).
Au cours des années récentes, l’offre de données brutes a connu une forte augmentation de la couverture en termes de :
- Géographie avec une couverture internationale ;
- Secteur ;
- Classes d’actifs : initialement limitée aux actions des grandes entreprises cotées, les obligations et dettes souveraines sont couvertes et dans une moindre mesure les titres d’entreprises non cotées. Il y a également une couverture de manière plus marginale des titres hybrides et des projets immobiliers ou d’infrastructure ;
- Profondeur d’historique.
La couverture des entreprises s’élargit mais les méthodes de collecte, de fiabilisation et de traitement des données ne sont pas homogènes. De facto, cela crée des divergences dans les évaluations des performances extra-financières produites. Cette qualité hétérogène oblige les acteurs financiers à avoir en interne des équipes d’analystes qualitatifs et à engager des dépenses conséquentes pour accéder à ces données.
Le système financier pourra disposer d’informations standardisées en provenance des entreprises par la mise en application progressive de CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Ces informations pourront alors se substituer aux données produites par les fournisseurs spécialisés.
L’intégration de la dimension extra-financière dans le secteur financier suppose une exploitation industrielle des données en provenance des entreprises et des fournisseurs.
Plusieurs initiatives sont déjà engagées par les acteurs financiers pour collecter, enrichir et analyser les données extra-financières. Souvent ces initiatives ne sont pas coordonnées et conduisent à des productions en silo. Le caractère pérenne de l’appel et de l’usage de ces données, le changement d’envergure et de rythme, l’exigence de traçabilité conduiront les acteurs financiers à construire un dispositif robuste de production des indicateurs extra-financiers, au même titre que les productions financières, comptables et réglementaires.
3 points à retenir :
- L’intégration de la dimension extra-financière dans le secteur financier suppose une exploitation industrielle des données en provenance des entreprises et des fournisseurs.
- Chaque institution financière se retrouve dans l’obligation de définir ses intentions en termes d’indicateurs extra-financier, choisir ses indicateurs, la méthode de calcul de ces indicateurs, et leurs sources de données.
- Les méthodes de collecte, de fiabilisation et de traitement des données ne sont pas homogènes. Cette qualité hétérogène oblige les acteurs financiers à avoir en interne des équipes d’analystes qualitatifs.